L’agriculture urbaine à Cuba, un modèle pour le monde entier… C’est ce que beaucoup nous laissent penser, même Pablo Servigne en parle dans ses conférences[1]. Alors nous, ça nous intrigue.
Cuba a connu, avec la chute du bloc soviétique en 1989, une crise sans précédent. C’est le début de la “période spéciale”, durant laquelle engrais chimiques, produits de synthèse et pétrole viennent à manquer, se cumulant à un effondrement des importations alimentaires du pays[2]. Les cubains ont réorganisé leur agriculture en n’utilisant plus que ce dont ils disposaient, réalisant de la sorte une transition agroécologique partielle et forcée[3]. Dans les villes, principales victimes de la crise alimentaire, cette transition a vu naître de nombreux jardins, occupant tous les espaces laissés vides par le développement urbain stoppé en plein vol. L’agriculture urbaine, « une agriculture pratiquée et vécue dans une agglomération par des agriculteurs et des habitants aux échelles de la vie quotidienne et du territoire d’application de la régulation urbaine »[4], se développe donc spontanément dans les villes cubaines, puis est très vite soutenue et organisée par le ministère de l’Agriculture et des Industries Locales (María Caridad Cruz, 2016). Au cours de son évolution jusqu’à maintenant, l’agriculture urbaine de Cuba a participé à faire sa renommée mondiale en terme de développement durable, reconnue par de nombreuses entités internationales (WWF, FAO, Nations Unies)[5].
Cependant, l’agriculture à Cuba n’est toujours pas parfaite et il nous semble important de mitiger certains propos comme ceux de ce reportage[6].
Tout d’abord, La Havane aurait atteint, selon cette vidéo, l’autosuffisance alimentaire en fruits et légumes. Qu’est-ce que cela signifie-t-il ? Il semble facile de dire que l’on atteint l’autosuffisance si l’on ne mange presque pas de fruits et légumes… Peut-être que les habitants de La Havane consommeraient plus de fruits et de légumes s’ils en avaient plus ? Et puis, ne vend-t-on que des légumes cubains à La Havane ?
Ensuite, nous est présenté le système scolaire cubain. L’agriculture semble avoir une part importante dans l’éducation nationale. Cependant, peut-on affirmer que toutes les écoles ont un potager ? Est-ce que toutes les cantines scolaires s’approvisionnent vraiment en produits locaux ? Là encore les propos sont à vérifier…
Enfin, les ouvriers agricoles des organopónicos, les fermes urbaines, auraient des revenus doubles à ceux de la moyenne du pays. Est-ce vraiment le cas ? L’agriculture urbaine est-elle plus rémunératrice que les autres secteurs d’emplois de l’île ? De plus, les retraités travaillant dans des fermes urbaines le font-ils pour être actifs, se sentir encore “utiles” ou bien parce qu’ils ne peuvent pas vivre avec la retraite qui leur est donnée ?
Voici trois exemples qui nous ont interpellées en visionnant le reportage. L’idéalisation du système atteste bien du contrôle de l’image que le pays veut renvoyer à l’international. La perfection attire les regards, il semble donc normal que l’on s’y attarde et que l’on critique.
Il n’en reste pas moins que l’agriculture urbaine s’est globalement bien plus développée à Cuba que dans n’importe quel autre pays, employant 300 000 personnes sur plus de 50 000 hectares dans le pays (María Caridad Cruz, 2016). C’est pour cela que nous avons choisi de réaliser ce projet et de nous faire notre propre avis.
Nous avions mille et une questions sur l’agriculture urbaine à Cuba. Comment les fermes urbaines fonctionnent-elles ? Comment se sont-elles mises en place ? Est-ce effectivement totalement biologique ? Comment les savoirs agronomiques se partagent-ils ? Quelles sont leurs méthodes agroécologiques ? Quels sont les circuits de distribution ?
Puis, au-delà de l’observation que l’on peut faire de Cuba, nous nous interrogeons sur le monde qui nous entoure. Faut-il vraiment un contexte fort de crise pour changer de modèle ? Ne peut-on pas s’inspirer de nos voisins pour prévenir des évènements qui pourraient nous toucher dans le futur ? Peut-on trouver dans l’histoire de Cuba des clés pour “accélérer” la transition de nos villes ?
Le 15 mars 2019, nous sommes donc parties à Cuba chercher des réponses à nos questions, réfléchir à un système alimentaire plus sain, plus écologique, plus humain.
Avec nos deux têtes et avec les vôtres, réfléchissons à demain.
[1] Servigne Pablo, 2018. Un avenir sans pétrole. Chaire AgroSYS, conférence à Montpellier SupAgro. Disponible sur Internet : https://www.youtube.com/watch?v=SqasBu0pfmk&fbclid=IwAR15KTOkklCxQ9lYR6y54RAqHcrEtf1bHY2jk0Ya8NN7HfPJnle73PLeSwI[consulté le 27/05/2019]
[2] María Caridad Cruz, 2016. Agricultura urbana en América Latina y el Caribe : Casos concretos desde la mirada del buen vivir. Revista Nueva Sociedad, 21p.
[3] Muiño Emilio Santiago, 2014. Obstáculos para la transición socio-ecológica : el caso de cuba en el “período especial”. Revista de Economía Crítica, n°17, primer semestre 2014, p118-135.
[4] Nahmias P., Le Caro Y., 2012, « Pour une définition de l’agriculture urbaine : réciprocité fonctionnelle et diversité des formes spatiales », Environnement urbain , vol. 6.
[5] Ginet Pierre et Béguin Chloé, Contretemps, 2018. La Havane et ses organoponicos. Disponible sur Internet : https://www.contretemps.eu/havane-organoponicos/[consulté le date 27/05/2019]
[6] Badaire F., Rousseau-Kaplan D., Hassenfratz C., Raharison J. Disponible sur Internet : https://www.youtube.com/watch?v=410UwUIvwsU&t=148s[consulté le 27/05/2019]