Après avoir quitté Nong Khai, nous nous rendons dans la communauté de Mae Tha, dans la région de Chiang Mai. Cette ville est très connue des touristes, car de nombreuses activités, comme les trekkings en montagne ou les balades à dos d’éléphant sont possibles dans la région.
La communauté de Mae Tha est de plus en plus connue en Thaïlande pour la remarquable gestion forestière ainsi que pour le développement important de l’agriculture biologique. Nous avons été (très) bien accueillies par la famille de Mathana et celle de Aun. Cela nous a permis de bien nous insérer dans la communauté, et de mieux la comprendre. Nous y sommes restées 3 semaines, participant aux tâches agricoles et partageant la vie quotidienne des habitants dans ce petit coin de paradis.
- Un peu d’histoire (d’après un entretien avec Pat Aphaimool, leader de la communauté)
L’histoire de cette communauté ressemble à celle de bien d’autres dans cette région montagneuse. Il y a 60 ans, les habitants vivaient en lisière de foret, qui leur procurait tout ce dont ils avaient besoin pour vivre : eau, plantes comestibles et médicinales, fruits, champignons, viande, bois de construction (teck)… Les parcelles rizicoles en fond de vallée venaient compléter le régime alimentaire. Pour Pat, le père de Mathana , c’est un âge d’or, où les habitants étaient certes matériellement très pauvres, mais avaient besoin de peu. La subsistance dépendait des ressources de la forêt thaïlandaise, et surtout de la connaissance des plantes et de leurs propriétés. Pourtant dès 1901, des compagnies privées commençaient à exploiter certaines parcelles de forêt, une préface au futur de la communauté. Sur les parcelles déforestées, des cultures commerciales de tabac et cacahuètes commencent à s’installer.
Dans les années 1955, la révolution verte atteint la Thaïlande. Le gouvernement veut exploiter ses forêts primaires, afin d’exporter des matières premières d’origine forestière et agricole. Dans tout le pays, les régions se spécialisent. A Chiang Mai, des compagnies étrangères se voient remettre des titres de propriété d’importantes parcelles de forêt, notamment celles entourant Mae Tha. Elles investissent alors la forêt primaire et ses bois précieux, ne laissant que des souches sur leur passage. A Mae Tha, la forêt recule avec les ressources des habitants, qui ne peuvent d’ailleurs plus y accéder légalement.
La pauvreté s’accentue, les familles doivent à présent acheter des terres agricoles nouvellement défrichées (auxquelles elles avait donc accès gratuitement auparavant) pour pouvoir implanter des monocultures (riz, baby corn, tabac). Les fermiers sont dépendants de contrats avec de grandes entreprises, notamment de tabac : une usine de séchage est construite. La rémunération des produits agricoles permet à peine de gagner de quoi nourrir la famille et de payer l’éducation des enfants, jusqu’au collège le plus souvent. Les bénéfices issus de la vente des récoltes aux grandes firmes d’exportation ne couvrent pas l’achat des semences, fertilisants et pesticides chimiques. Les fermiers s’endettent. L’usine de tabac ferme, rendant la vie encore un peu plus dure. La production se réoriente vers la culture intensive de baby corn, dans l’espoir de dégager un revenu. Les familles s’endettent toujours plus : le prix des intrants augmente au cours du temps, et les revenus restent inchangés. En parallèle, les ressources naturelles comme l’eau et les sols sont pollués par les importantes quantités de produits chimiques répandus dans les champs. Un modèle très loin de la durabilité …
En 1986, après 13 ans d’endettement et de dur travail dans les champs de tabac et de riz, devant les problèmes de santé liés aux pesticides et la pauvreté de sa famille, Pat Aphaimool décide de changer de modèle agricole. La révolution verte n’a pas tenu ses promesses, il faut donc réinventer une nouvelle agriculture, qui permette d’abord de nourrir la famille, sans dettes, puis de vendre les surplus au marché local. Un pari fou pour l’époque, qui va révolutionner la vie des habitants de Mae Tha.
- Mae Tha, communauté bio
La transition n’est pas facile sur les sols dégradés par des années de monoculture. Les premières années, Pat obtient de très faibles rendements, la famille n’y croit plus trop. Il persévère cependant, inspiré par le mode de vie de ses ancêtres, observant la nature. Sur une ancienne parcelle de tabac, il décide de recréer la forêt qui le nourrissait avant la révolution verte. Nous vous expliquerons comment il a procédé dans un article prochain, c’est très ingénieux ! Il plante d’abord des bananiers, puis des manguiers et ananas, semant les graines de sa future agroforêt. Au bout de deux ans, il produit assez de fruits, légumes et plantes comestibles pour les vendre au marché. Il n’a plus de dettes et achète très peu d’intrants : il peut enfin vivre et se nourrir de son travail.
Pat, dans l’agroforêtAprès plus de 30 ans, le résultat est impressionnant : une forêt riche, où cohabitent essences fruitières et bois d’œuvre, plantes comestibles, champignons, qui permet de nourrir sa famille et de vendre au marché.
Peu à peu d’autres producteurs suivent l’exemple de Pat, ils sont aidés par des ONG comme Green Net, qui leur permettent d’améliorer leurs techniques de production et la commercialisation. Ils se réunissent d’abord en groupes de producteurs, permettant de partager le travail et faire face aux difficultés techniques. Green Net appuie le regroupement des producteurs en coopérative à partir de 2000, et facilite la certification biologique des produits vendus par la coopérative. La communauté s’organise, définit ses objectifs : une production diversifiée, complémentaire entre les producteurs, permettant la quasi autosuffisance de la communauté et la vente sur les marchés locaux et bio. Au fil des ans, la production certifiée est de plus en plus importante : baby corn, légumes, fruits, plantes médicinales, produits transformés … Un véritable succès. Aujourd’hui, la coopérative compte membres, un nombre en croissance continue.
- Au delà du modèle agricole, la durabilité, un mode de vie
Pour soutenir les investissements locaux, les producteurs ont créé un groupe d’épargne, dans lequel ils mettent en commun leurs profits, obtiennent des intérêts et peuvent demander un crédit à taux réduits. En Thaïlande, la culture de l’épargne est peu répandue chez les fermiers qui bien souvent n’ont pas de compte en banque ni de registre, et dépensent selon les besoins l’argent gagné. Grâce à la banque communautaire, les fermiers ont appris à mieux gérer leurs revenus et ont accès à des fonds qui leur permettent d’acheter de nouvelles parcelles, du matériel agricole, des animaux et même construire une nouvelle maison. Pour les familles qui ont choisi la transition et l’implication dans la vie communautaire, le niveau de vie s’est largement amélioré. C’est le cas pour la famille de Aun, qui a pu faire des études d’architecture à Chiang Mai. Pat, lui, a pu acheter de nouvelles parcelles, passant en 35 ans d’une surface de 0.08 ha à près de 6ha, le tout cultivé sans aucun intrant chimique, selon les principes de l’agroforesterie. L’agriculture biologique a permis au village de sortir de la pauvreté. Pourtant, sans implication de la part des jeunes du village, tout ces efforts risquent d’être perdus.
Alors qu’un des principaux problèmes de l’agriculture actuelle est le vieillissement de la population agricole, et le faible taux de reprise des exploitations familiales, certains jeunes de Mae Tha ont choisi de revenir au village, parfois après des études universitaires et un travail à Bangkok. Mathana est agronome, mais elle à fait le choix de revenir à Mae Tha et de soutenir l’agriculture locale. Elle travaille pour Green Net et est à l’origine de la création du Green Net Organic Center, un centre dédié à la formation et la recherche sur la conservation et la production de semences locales et bio. Elle organise régulièrement des formations pour les paysans des communautés alentours, les encourageant à produire et conserver leur propres semences ;bien plus adaptées au contexte local que les semences enrobées de pesticides vendues dans le commerce. Dans la ferme familiale, elle consacre 3000 m2 à la production de semences biologiques, qui sont ensuite vendues par Green Net.
Avec d’autres jeunes producteurs comme Aun et sa femme Yin, Mathana a créé Mae Tha Organic, une entreprise communautaire qui permet la vente locale des productions biologiques. En quelques années, les activités se sont multipliées : vente de produits transformés (confitures, fruits séchés), distribution de paniers de légumes bio à Chiang Mai. L’an dernier, en partenariat avec des producteurs de café bio des zones montagneuses, un café a été ouvert, géré par le groupe. Le succès est incroyable (et les cafés très bons, testé et approuvé !)
Cette communauté nous donne beaucoup d’espoir, et nous montre que les initiatives durables sont nombreuses et peuvent être la réponse à de nombreux problèmes environnementaux, agricoles, sociaux et économiques lorsqu’elle sont appliquées à grande échelle. Les défis à relever à Mae Tha sont encore nombreux, mais on peut être très optimiste sur le futur de cette aventure formidable grâce à l’implication des jeunes générations. Notre séjour à Mae Tha nous a beaucoup appris, sur le plan professionnel comme sur le plan humain. Ici tout se partage, l’entraide est la règle, on ne peut avancer sans les autres.
Nous remercions les familles de Aun et Mathana pour les moments et les connaissances partagées dans leur magnifique région.