Pour ma dernière semaine en Colombie, je suis retournée à Bogotá Grâce aux parents de Félix j’ai rencontré Adela Correa, ancienne professeure d’Agronomie de l’Université de Bogotà et grâce à Adela j’ai rencontré David Camelo, membre de l’association de producteurs biologiques de Guasca, qui m’a organisé un séjour express chez quelques fermiers de l’association pour que je puisse découvrir leur façon de produire.
Un peu de géographie
Mais avant de vous parler de mon expérience au sein de l’association, revenons un peu sur la géographie de la Colombie. Parce que je pense que je ne suis pas la seule à imaginer, à l’évocation du nom « Colombie », un pays oí¹ il fait chaud, un pays de forêt tropicale et de plages paradisiaques. Alors oui, c’est en partie vrai. Mais la Colombie possède aussi une zone de montagnes, ou encore une zone de savane. On différencie au total 6 régions géographiques différentes : la région d’Amazonie en vert foncé sur la carte, la région de Savanes que la Colombie partage avec le Venezuela en vert clair, la région Andine en marron, la région Caribéenne en jaune, la région Pacifique en bleu et puis la région insulaire en rose (les deux îles : San Andrès et Providencia).
Bogotá la capitale du pays ou encore Medellín sont situées dans la région Andine. Alors qu’à Medellín le climat est tempéré, à Bogotà le climat est froid ou « tempéré d’altitude ». Medellín est à 1500m d’altitude, Bogotà a 2640m. Vous l’aurez compris, l’altitude définie le climat en Colombie. Alors quand je disais dans mon premier article que la Colombie connait presque tous les climats qui existent dans le monde, cela peut s’expliquer par le fait qu’en une heure de route, on peut passer d’un climat chaud, voir très chaud à un climat tempéré ou froid, juste parce qu’on passe de 1200m à 2000m d’altitude.
La Asociación de Granjeros Ecológicos de Guasca – AGREGUA
Guasca est une petite ville a environ 50km au nord-est de Bogotà. Elle se situe à plus de 2700m d’altitude. Donc si vous avez bien suivi, vous savez qu’il y fait froid. D’ailleurs, beaucoup d’hommes portent encore le poncho traditionnel. C’est un poncho tricoté tellement densément, qu’en plus de tenir chaud il est imperméable. Oui, parce qu’il fait froid, mais il pleut aussi. En effet, Guasca se situe tout proche de la zone de « paramo ». Le « paramo » est un écosystème de montagne intertropical que l’on trouve dans les Andes (Colombie, Venezuela, Équateur et Pérou) au-dessus de 3000m. Dans le cas de la Colombie, c’est là que se forment la plupart des rivières du pays. C’est donc une zone très humide, oí¹ il pleut beaucoup beaucoup.
Le mercredi matin David est venu me chercher pour m’emmener connaître quelques fermes de l’association dans lesquelles je devais rester jusqu’au vendredi. Avant d’arriver à Guasca, nous faisons un petit arrêt dans une des universités de Bogota. C’est ici que David vient acheter ses plantules pour sa ferme. Comme beaucoup, il préfère acheter les plantules déjà prêtes plutôt que de semer lui-même les graines, cela lui fait gagner du temps et cela lui permet de ne pas avoir à gérer la germination.
On fait un deuxième arrêt sur la route, pour prendre un café et manger un petit bout. Alors non, le but de cet article n’est pas de vous raconter en détail ma vie ou vous parler des cafés que j’aurai bu en Colombie (et qu’est-ce que j’en ai bu). Si je vous parle de cette pause qu’on a fait, c’est pour vous parler de l’entreprise Alpina. Dans mon premier article sur la Colombie (voir l’article ici), je parlais de la production de lait et de la grande entreprise Colanta qui le transformait. Et bien Colanta a une copine : Alpina. C’est l’autre grande entreprise de transformation de lait de Colombie. Et l’usine se trouve justement entre Bogotà et Guasca. Alors forcément, on y est passé. L’usine est énorme, et ils ont même une cafétéria et un supermarché pour vendre leurs produits (oui oui, un supermarché oí¹ l’on trouve uniquement du lait, des yaourts et tous les produits laitiers inimaginables)!! Aujourd’hui, les industries comme Alpina peuplent peu à peu les environs de Bogotá et ce, au détriment des riches terres agricoles dont la capitale est entourée.
Enfin bon, on arrive en fin de matinée à la première ferme : la ferme d’Hector. On y fait un passage rapide, juste le temps de faire le tour de la ferme et voir un peu ce qu’il produit. Hector s’est spécialisé dans la production d’oignons biologiques, mais ce n’est pas l’unique culture présente. On trouve aussi des blettes, des tomates, des épinards, des brocolis ou des haricots. Bien sí»r, la plupart des cultures sont sous serres : ici il fait froid et il pleut.
Sa ferme est très organisée, chaque rangée est numérotée et est référencée sur une application en temps et en heure : quelle culture, à quel stade, sa localisation. Ainsi il peut savoir exactement ce qu’il en est de sa production. Il a aussi mit en place un système mécanique de transport des produits du bas de la parcelle vers le haut pour éviter aux travailleurs de tout charger et de faire trop d’allers-retours.
La Finca Alisal y San Luis. Una familia que trabaja para tu hogar
La ferme Alisal et San Luis. Une famille qui travaille pour ton foyer.
Et puis j’arrive enfin chez Clementina. Je dois y rester jusqu’au vendredi. La ferme de Clementina est un modèle dans la région, et même au niveau national. Elle reçoit de nombreuses visites d’universitaires, d’agriculteurs, d’instituts techniques…
Au contraire de nombreuses familles qui quittent la campagne pour la ville à la recherche d’une meilleure qualité de vie, Clementina et sa famille sont venus s’installer à Guasca dans les années 90, après avoir vécu de nombreuses années à Bogotá avec l’objectif de produire leurs aliments comme le faisaient leurs parents et grands-parents.
Dès leur installation ils ont basé leurs cultures sur le principe d’allélopathie, c’est à dire en tenant compte de l’influence d’une plante sur une autre. L’organisation de la ferme est donc bien différente de celle d’Hector. Elle semble en apparence moins organisée, mais pourtant associer les cultures demande une grande connaissance des différentes interactions entre les plantes car elles peuvent être bénéfiques comme néfastes. Ce système nécessite donc une forte organisation de l’espace, pour pouvoir exploiter au mieux ces interactions.
Aujourd’hui, Clementina et sa famille produisent, transforment et commercialisent plus de soixante produits différents : légumes, fruits, herbes aromatiques et médicinales. En voici une liste non exhaustive : oseille, bettes de différentes variétés, courges, piments, ail, basilic, différentes variétés de pomme de terre, petits pois, herbes aromatiques, cresson, brocolis, courgettes, oignons, coriandre, haricots blancs, rouges, verts, épinards, choux-fleurs, fraises, grenades, betteraves (feuilles et tubercules), calendula, laitues et autres variétés de salades, poivrons, quinoa, radis, rhubarbe, tomates, mélisse, menthe, carottes…
En plus de tout ça, on trouve également de nombreux animaux sur la ferme : des vaches, une dizaine pour le lait, des brebis, des chèvres, des lapins, des poules, des cochons d’Inde (en Colombie l’élevage de cochons d’Inde pour sa viande est plutôt marginal, au contraire du Pérou ou de l’Equateur oí¹ il est très fréquent), des canards et des abeilles. Les excréments des animaux sont compostés pour servir ensuite de fertilisant naturel.
Tous les produits de la ferme sont vendus de façon locale et directe aux habitants de Guasca et de Bogotà : les dimanches sur le marché de Guasca, les lundis via un système de livraison à domicile pour les habitants de Bogotà (les commandes se font par téléphone ou par mail) ou encore directement à la ferme. Il existe une réelle entraide entre les différents producteurs de l’association ou de la région. Ils partagent le travail et notamment les ventes : Clementina propose à la vente des produits d’autres producteurs qui ne sont pas produits sur la ferme : fromages, fruits et légumes issus d’un climat plus chaud… et vice-versa.
Leur propriété s’étend sur 8ha, mais seulement 1,5ha est consacré à la production de fruits et légumes. Le reste, c’est à dire environ 80% de la surface, est occupé par de nombreux arbres natifs. Clementina et Luis, son mari, ont travaillé durement à la reforestation de la zone (et continuent de le faire) en re-forestant leur propriété mais aussi en incitant leurs voisins à le faire. Ils sont membres de nombreuses organisations de protection de l’environnement ou encore de défense d’une agriculture socialement et environnementalement juste (associacion de mercados campesinos, asociacion de turismo (ASOTURISMI Guasca) Junta de accion comunal de la Vereda…)
Il y aurait beaucoup plus à dire sur la ferme San Luis, et je n’y suis restée que 3jours. A partir de la simple volonté de s’alimenter de façon saine, ils ont réussi à créer une entreprise familiale qui permet à de nombreuses autres familles de s’alimenter, mais qui permet aussi d’entretenir un paysage et un écosystème malheureusement en voie de disparition (développement de Bogotà et de sa zone industrielle au détriment des terres agricoles, exode rural, agriculture conventionnelle…).
Je termine donc mon périple sur une note d’espoir. Car la famille de Clementina nous prouve que produire des aliments sains, pour sa famille et les autres familles n’est pas utopique. Qu’il est tout à fait possible d’associer efficience de production, efficience économique et respect de l’environnement. Plus largement, je retiendrai de cette aventure que chacun peut et doit cultiver. Cultiver chez soi, dans son jardin, son appartement, sur son toit, dans le jardin du voisin, dans les potagers publics… Parce que « ton alimentation c’est ta santé », parce que « tu es ce que tu manges ». Produire ses propres aliments, ce n’est pas seulement se permettre de manger une bonne tomate fraiche et juteuse c’est aussi s’émanciper et gagner en liberté.
The end
Super note final d’espoir et d’optimisme.
Bravo pour cette manière de voir les choses et de nous les faire partager.
Bon retour … Montpellier sera maintenant plus morne après toutes vos découvertes …
Enrique