Du café et des bananes, mais pas de main d’oeuvre. Bienvenue dans la zone Cafetière de Colombie.

Alors oui, encore du café au programme. Mais cette fois en Colombie, et vous savez ce qu’on dit, il paraît que c’est le meilleur du monde.

Et puis, cela va me permettre de comparer avec le Pérou, et de prendre du recul sur la façon de produire et de commercialiser dans les deux cas.

Avec Les Agro’nautes, nous nous concentrons sur la durabilité de chaque exploitation, et nous essayons de comprendre dans chaque cas, ce qui fait qu’une ferme est durable, ou qu’elle l’est moins qu’une autre par exemple. Mais loin de nous l’idée de mettre en compétition les fermes, ou de les noter comme notre système scolaire sait si bien le faire. Non, l’idée est de comprendre comment fonctionne le système de production, et de tirer de nos observations de nouvelles idées pour améliorer nos systèmes de production. Alors bien sûr, cette étude ne peut se faire sans prendre en compte les différents contextes.

Le café. Cooperativa de Cafecultores de Anserma

La coopérative de producteurs de café qui m’a gentiment accueillie pendant deux semaines est la Coopérativa de Cafecultores de Anserma. Anserma est une commune qui se situe dans le département de Caldas. Ce département fait partie de l’« Eje Cafetero », c’est à dire de la région où la production de café au niveau national est la plus importante.

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La coopérative possède deux certifications : « Fair Trade » et « Rain Forest ». Mais par contre la production n’est pas biologique comme au Pérou.

Au Pérou, Elmer le gérant de la coopérative Cecafe, nous expliquait que dans la région où nous étions il n’y avait jamais eu la culture du produit chimique. Avant même que la coopérative ne se soumette à la certification biologique, aucun ou très peu de produits chimiques étaient utilisés. En Colombie, c’est bien le contraire. Dans les années 70 il y a eu un boom de la demande de café colombien. On a alors tout arrêté pour faire du café et seulement du café (plus de potager, plus d’animaux, plus d’arbres natifs…). Les monocultures de café se sont développées, et qui dit monoculture dit engrais, pesticides, insecticides chimiques. Aujourd’hui en Colombie la culture du bio n’existe pas vraiment. Il est donc difficile pour un agriculteur de se convertir au bio, et je ne parle pas forcément de l’absence de programmes gouvernementaux sinon de l’absence de communication ou d’organisations nationales pour la production biologique de café. Ou du moins si ces organisations existent, elles ne sont pas arrivées dans toutes les campagnes. Alors, malgré une prise de conscience de la part des agriculteurs qui se rendent bien compte des dangers que représentent les produits chimiques, ils continuent à les utiliser car selon eux, le rendement est meilleur et il n’y a pas d’autres formes de lutter contre la Broca (petit insecte qui grignote les grains de café) par exemple.

Bon, dans la coopérative c’est pas non plus si horrible, le recours aux produits chimiques est régulé, et cela via leur engagement au sein du label Rain Forest. Il oblige notamment l’agriculteur à prendre différentes mesures pour ne pas contaminer les eaux et limiter le recours aux produits chimiques. Et puis il faut aussi noter qu’aujourd’hui la culture de café produit moins (attaques de Broca, maladie de la rouille…), et les caféiculteurs reviennent peu à peu au mode de production d’avant, c’est à dire à un mode de production plus diversifié.

La coopérative d’Anserma est plus importante que celle de Lonya Grande au Pérou. Elle regroupe 1000 caféiculteurs dans les 5 municipalités de la commune. La coopérative possède sa propre usine de séchage de café ou de traitement des grains secs. Par exemple, les agriculteurs peuvent récolter leur café, le dépulper et le faire sécher eux-mêmes ou, ils peuvent amener leur café une fois récolté à l’usine. La coopérative achète alors le café humide (à moindre coût bien sûr) et s’occupe de le dépulper et de le sécher. Elle propose également des services aux agriculteurs, via son aire technique dans laquelle travaillent 7personnes.

En ce qui concerne la production de café en soi, on trouve de nombreuses différences avec le Pérou.

Au Pérou, comme explicité dans notre article précédent, il y a une seule récolte par an, entre avril et septembre selon le climat et l’altitude. En Colombie, on distingue 2 récoltes dans l’année : la récolte principale et la traviesa, la petite récolte. La récolte principale a plutôt lieu en octobre-décembre et la traviesa entre mars et avril. Mais en réalité on a du café toute l’année, éparpillé dans les différentes parcelles, ce qui rend sa récolte plus difficile et plus longue qu’au Pérou. D’ailleurs, ici la main d’œuvre représente 50% des coûts de production.

Les variétés de café sont aussi différentes : on trouve principalement la variété Castillo (qui fleurit toute l’année), qui remplace peu à peu la variété Caturo qui est sensible à la rouille et la variété Colombiano dont le rendement est moins bon.

Le séchage du café est différent aussi. Au Pérou, le séchage traditionnel au sol est peu à peu remplacé par un séchage « sous serre ». En Colombie on trouve aussi parfois le séchage au sol, mais les systèmes innovants sont ceux sur le toit (plat) de la maison, protégé par un toit en tôle coulissant : on « ouvre » le toit quand il fait beau, on le « ferme » quand il commence à pleuvoir. Et pour rendre ce système encore plus efficient, le toit plat est recouvert d’une couche absorbant l’humidité (enveloppe des grains de riz) recouverte d’un tissu noir. Schéma ci-dessous.

Modes de séchage

Et les bananes. Système agroforestier.

Dans la région, 98% des producteurs de café produisent également des bananes. Cela a 3 gros avantages :

1. Les bananiers fertilisent le sol. La récolte de bananes a lieu toutes les semaines. Il faut savoir que quand on récolte les bananes, ce n’est pas seulement la rame de bananes qui est coupée, c’est tout l’arbre qui est abattu. Et c’est tout l’arbre qui va servir à fertiliser le sol : tout est laissé sur place : le tronc, les feuilles, les bananes trop mûres. Ils sont simplement coupés pour faciliter leur dégradation dans le sol.

2. Les bananiers ombragent les plants de café qui permet de produire du café de meilleure qualité. Si les plants de café sont exposés constamment au soleil certes ils vont produire plus de grains de café, mais les grains seront de plus petite taille. Par contre, si les plants de café sont ombragés, les grains mettront plus de temps à se développer, seront donc plus gros et de meilleure qualité.

3. D’un point de vue économique, c’est la culture de banane qui permet de faire marcher la ferme. Elle est beaucoup plus rentable que la culture de café.

Si la culture de café n’est plus rentable, je me suis demandée alors pourquoi les agriculteurs ne laissaient pas la production de café pour celle de bananes. Mais en fait un système en agroforesterie a aussi des effets bénéfiques sur l’élément arbre (dans notre cas, le bananier). L’espacement entre les bananiers dus aux plants de café permet aux bananiers de mieux se développer. Et on obtient des grappes de bananes qui atteignent les 60kg. Autre effet, l’enracinement des bananiers est plus profond du fait de la concurrence avec les plants de café, ce qui implique un meilleur approvisionnement en eau, et donc une limitation du stress hydrique en cas de sécheresse (ce qui a tendance à arriver de plus en plus souvent ici).

Schéma bananiers-café

Dans le système café-bananes on trouve aussi de nombreux plants de Yuka (=manioc) qui pousse très facilement et parfois aussi d’autres légumes du potager comme des haricots qui sont avec le riz, la yuka et les bananes des produits de base de l’alimentation en Colombie.

Où est passée la main d’oeuvre ?

Le constat est le même : depuis Medellín aux fermes de café de Caldas, il est de plus en plus dur de trouver de la main d’œuvre pour travailler dans les fermes.

La première ferme que j’ai visité au sein de la coopérative de cafeiculteurs est celle de Don Delio José. Il s’est installé il y a 8ans, il avait à ce moment la cinquantaine bien passée.

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Don Delio (en blanc) dans le jardin de son voisin (en bleu). Au premier plan à  gauche on peut voir des plants de manioc, au second plan derrière les hommes des bananiers. En haut à  droite un goyavier.

Don José s’occupe de la ferme avec deux travailleurs. Ils gèrent ensemble les 4ha de plants de café et de bananes. Les travailleurs réalisent les travaux les plus physiques comme la récolte des bananes par exemple (une grappe de banane pèse jusqu’à 60kg, et il faut la transporter depuis le champ jusqu’à la maison). Mais José, malgré son âge avancé, continue de gérer la ferme et de parcourir les 500m de dénivelés qui existent entre le bas et le haut de la ferme et cela plusieurs fois par jour, et continue de planter, couper ou arranger les plants de café ou de bananes.

La deuxième ferme que j’ai visité est celle de José (oui encore). Il habite de l’autre côté du village, dans une vallée différente. Il vit avec sa femme, et son fils le plus jeune. Comme Don Delio José, il possède 4ha de café principalement et de bananes. José est aussi aidé par deux travailleurs. Autant dans le cas de Don Delio, les travailleurs étaient relativement jeunes (20 et 40ans), dans le cas de José les travailleurs sont plutôt vieux (plus de 65ans). La seule main d’œuvre encore disponible se fait vieille. Les jeunes préfèrent aller à la ville, ou travailler dans la construction (secteur actif en Colombie avec la construction de nombreuses routes modernes). C’est un réel problème pour les agriculteurs qui sont obligés d’adapter leur système de production. Par exemple, dans les 5ans à venir, José prévoir de cultiver plus de bananes et moins de café. Pourquoi ? Parce que la production de bananes demande beaucoup moins de travail et est plus rentable.

Certains ont déjà abandonné la production de café, pour se convertir dans d’autres productions : ananas, avocat…

Au final, en deux semaines j’aurai découvert un monde du café bien différent de celui du Pérou. Les problématiques ne sont pas les mêmes. La Colombie est un pays qui a un grand potentiel agricole, mais qui subit encore les conséquences de mauvaises décisions politiques des années passées. Il reste aujourd’hui à voir dans quelle direction ce pays décide de s’orienter. Et ce choix se traduira notamment par le choix d’occupation des nouvelles terres disponibles libérées des FARC (Forces Armées Révolutionnaires Colombiennes) suite à l’accord de paix signé ces dernières semaines. Il existe de fortes chances que ces terres soient vendues par l’État à de riches multinationales qui continueront à produire de façon conventionnelle sans se soucier des conséquences sur l’environnement et les populations. Mais les initiatives durables en Colombie se font de plus en plus nombreuses, et nous ne pouvons qu’espérer que ces initiatives se regroupent pour avoir plus de poids dans les décisions futures du gouvernement.

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